Z) Fin (12)
« Dans le cadre d’une guerre civilisationnelle, la société russe se met sur le pied de guerre, pour ne pas subir le sort de l’URSS (« piège lacédémonien ») et pour pouvoir affronter le bloc adverse dans la durée. Le challenge consiste à générer une production militaire qui alimente l’économie sans la « plomber » et sans sacrifier l’objectif de développement intérieur à long terme. C’est un défi qui n’est pas sans rapport avec le « New deal » étatsunien, qui a pu fonctionner grâce à la 2e GM. Cela nécessite que l’appareil d’Etat soit confié à des responsables civils et militaires adaptés à cette évolution. La guerre en Ukraine est un épiphénomène d’une opposition fondamentale avec l’Occident collectif, sa mainmise mondiale et sa volonté de contrôler l’Eurasie (et donc le monde, en sachant que ce qui reste à contrôler de l'Eurasie et du monde correspond désormais à la Russie, la Chine et l'Iran, car les autres nations du monde suivront ensuite plus ou mois). Cela prolonge la volonté de résister à l’insertion forcée de la Russie dans les périphériques étatsuniens, exprimée dès le fameux discours de Munich en 2008. Cette opposition militaire n’étant que la continuation de la politique, engendre un important volet économique et culturel. La réactivation des valeurs traditionnelles et conservatrices est le moyen de s’opposer au soft power corrosif et délétère de l’Occident. L’enjeu consiste à découpler la modernité et la performance technologique et économique de ce socle intellectuel et social. Il faut également cantonner le « choc de civilisation » aux deux blocs en évitant que n’apparaissent des fissures internes, ethniques religieuses et sociétales. La guerre peut s’avérer un accélérateur ou un facteur de résistance. » (Olivier Chambrin) « Les opérations militaires en Ukraine ne sont qu’une toute petite partie d’un bras de fer mondial. C’est pas spécifiquement sur le terrain militaire en Ukraine que se gagnera la guerre. C’est le bras de fer mondial entre deux conceptions du monde, la conception des États-Unis et de l’OTAN, qui est l’hégémonie pour le côté occidental, et puis la conception de la multipolarité, qui est dirigée par la Russie, la Chine, l’Inde, les BRICS, on va dire, ou l’Organisation de coopération de Shanghai. Donc l’opération de Koursk est une opération militaire qui s’inscrit dans le petit front de l’Ukraine, qui n’est pas un front majeur dans le bras de fer qui oppose l’hégémon US et la multipolarité. Ça, il faut bien l’avoir compris. Le bras de fer, il est pas seulement militaire, il est économique aussi, et c’est de mon point de vue l’économie qui aura le dernier mot dans ce bras de fer gigantesque, qui est une véritable guerre mondiale. » (Général Delawarde) « C’est un cliché de dire que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Il est important d’ajouter que la guerre est la continuation de la politique sous un angle différent. Ainsi, la guerre, dans son implacabilité, nous amène à un nouveau point de vue, à un point de vue élevé. Et de là, elle nous donne une perspective complètement différente, jusqu’alors inconnue. Nous nous trouvons dans un nouvel environnement et dans un nouveau champ de forces concentré. Dans cette pure réalité, les idéologies perdent leur pouvoir, les tours de passe-passe statistiques perdent leur pouvoir, les distorsions médiatiques et la dissimulation tactique des politiciens perdent leur pouvoir. Les illusions répandues, ou même les théories du complot, n’ont plus aucun sens. Ce qui reste, c’est la réalité brutale et cruelle. Jusqu’à présent, l’Occident a pensé et agi comme s’il se considérait comme une référence, une sorte de point de référence pour le monde. Il a fourni les valeurs que le monde a dû accepter, par exemple la démocratie libérale ou la transition écologique. Mais la plupart des pays du monde l’ont remarqué et, ces deux dernières années, un virage à 180 degrés a eu lieu. Une fois de plus, l’Occident a déclaré qu’il attendait du monde qu’il adopte une position morale contre la Russie et pour lui. En réalité, tout le monde se range petit à petit du côté de la Russie. Que la Chine et la Corée du Nord le fassent n’est peut-être pas une surprise. Que l’Iran fasse de même , compte tenu de son histoire et de ses relations avec la Russie, est quelque peu surprenant. Mais le fait que l’Inde, que le monde occidental considère comme la démocratie la plus peuplée, soit également du côté des Russes est étonnant. Que la Turquie refuse d’accepter les exigences morales de l’Occident, bien qu’elle soit membre de l’OTAN, est vraiment surprenant. Et le fait que le monde musulman considère la Russie non pas comme un ennemi mais comme un partenaire est complètement inattendu. La guerre a révélé que le plus grand problème auquel le monde est confronté aujourd’hui est la faiblesse et la désintégration de l’Occident. (Le comportement irrationnel de l’Occident est la plus grande menace pour le monde aujourd’hui.) L’Occident pense que les États-nations n’existent plus. C’est inimaginable pour nous, mais c’est pourtant ce qu’il pense. Le système de coordonnées dans lequel nous pensons, nous autres Européens centraux, n’a donc aucune importance. Dans notre conception, le monde est constitué d’États-nations qui exercent un monopole national sur l’usage de la force, créant ainsi une situation de paix générale. Dans ses relations avec les autres États, l’État-nation est souverain, c’est-à-dire qu’il a la capacité de déterminer de manière indépendante sa politique étrangère et intérieure. Dans notre conception, l’État-nation n’est pas une abstraction juridique, ni une construction juridique : l’État-nation est enraciné dans une culture particulière . Il a un ensemble de valeurs communes, il a une profondeur anthropologique et historique. Et de là naissent des impératifs moraux communs fondés sur un consensus commun. C’est ce que nous considérons comme l’État-nation. Mais, à l’opposé, les Occidentaux considèrent que les États-nations n’existent plus. Ils nient donc l’existence d’une culture commune et d’une morale commune fondée sur celle-ci. Ils n’ont pas de morale commune. Pour eux, la moitié occidentale de l’Europe est déjà post-nationale . Il ne s’agit pas seulement d’une situation politique différente, mais ce dont je veux parler ici, c’est d’un nouvel espace mental. Si l’on ne regarde pas le monde du point de vue des États-nations, on se retrouve face à une réalité complètement différente. C’est là que réside le problème, la raison pour laquelle les pays de l’ouest et de l’est de l’Europe ne se comprennent pas, la raison pour laquelle nous ne parvenons pas à nous unir. Si nous essayons de comprendre comment cette pensée occidentale – que nous devrions appeler, pour simplifier, pensée et condition « post-nationales » – a vu le jour, nous devons remonter à la grande illusion des années 1960. La grande illusion des années 1960 a pris deux formes : la première était la révolution sexuelle, la seconde la révolte étudiante. En fait, elle était l’expression de la croyance que l’individu serait plus libre et plus grand s’il était libéré de toute forme de collectivité. Plus de soixante ans plus tard, il est devenu clair qu’au contraire, l’individu ne peut devenir grand que par et dans une communauté, que lorsqu’il est seul, il ne peut jamais être libre, mais toujours solitaire et condamné à se rétrécir. En Occident, les liens ont été successivement abandonnés : les liens métaphysiques que sont Dieu, les liens nationaux que sont la patrie et les liens familiaux. Maintenant qu’ils ont réussi à se débarrasser de tout cela, en espérant que l’individu deviendrait plus grand, ils se retrouvent avec un sentiment de vide. Ils ne sont pas devenus grands, mais petits. Car en Occident, on ne désire plus ni de grands idéaux, ni de grands objectifs communs, motivants. Il faut parler ici du secret de la grandeur. Quel est le secret de la grandeur ? Le secret de la grandeur est de pouvoir servir quelque chose de plus grand que soi. Pour cela, il faut d’abord reconnaître qu’il existe dans le monde quelque chose ou des choses qui sont plus grandes que soi, et ensuite se consacrer à servir ces choses plus grandes. Il n’y en a pas beaucoup. On a son Dieu, son pays et sa famille. Mais si on ne fait pas cela, mais qu’on se concentre sur sa propre grandeur, en pensant qu’on est plus intelligent, plus beau, plus talentueux que la plupart des gens, si on dépense son énergie là-dessus, à communiquer tout cela aux autres, alors ce qu’on obtient n’est pas de la grandeur, mais de la prétention. Et c’est pourquoi aujourd’hui, chaque fois que nous discutons avec des Européens de l’Ouest, dans chaque geste, nous ressentons de la prétention au lieu de la grandeur. Je dois dire qu’il s’est créé une situation que nous pouvons appeler le vide, et le sentiment de superflu qui l’accompagne donne lieu à l’agressivité. D’où l’émergence du « nain agressif » comme un nouveau type de personne. En résumé, ce que je veux vous dire, c’est que lorsque nous parlons de l’Europe centrale et de l’Europe occidentale, nous ne parlons pas de différences d’opinions, mais de deux visions du monde différentes, de deux mentalités, de deux instincts et donc de deux arguments différents. Nous avons un État-nation qui nous pousse vers le réalisme stratégique. Ils ont des rêves post-nationalistes qui sont sans effet à l’égard de la souveraineté nationale, ne reconnaissent pas la grandeur nationale et n’ont pas d’objectifs nationaux communs. C’est la réalité à laquelle nous devons faire face. Enfin, le dernier élément de la réalité est que cette situation post-nationale que nous observons en Occident a des conséquences politiques graves – et je dirais dramatiques – qui bouleversent la démocratie. En effet, au sein des sociétés, il y a une résistance croissante à l’immigration, au genre, à la guerre et au mondialisme. Et cela crée le problème politique de l’élite et du peuple – de l’élitisme et du populisme. C’est le phénomène qui définit la politique occidentale aujourd’hui. Si vous lisez les textes, vous n’avez pas besoin de les comprendre, et ils n’ont pas toujours de sens de toute façon ; mais si vous lisez les mots, les expressions suivantes sont celles que vous trouverez le plus souvent. Elles indiquent que les élites condamnent le peuple pour sa dérive vers la droite. Les sentiments et les idées du peuple sont qualifiés de xénophobie, d’homophobie et de nationalisme. En réponse, le peuple accuse l’élite de ne pas se soucier de ce qui est important pour lui, mais de sombrer dans une sorte de mondialisme dérangé. En conséquence, les élites et le peuple ne peuvent pas s’entendre sur la question de la coopération. Je pourrais citer de nombreux pays. Mais si le peuple et les élites ne parviennent pas à s’entendre sur la coopération, comment peut-on parvenir à une démocratie représentative ? Parce que nous avons une élite qui ne veut pas représenter le peuple et qui est fière de ne pas vouloir le représenter ; et nous avons le peuple qui n’est pas représenté. En fait, dans le monde occidental, nous sommes confrontés à une situation dans laquelle les masses de personnes diplômées de l’enseignement supérieur ne représentent plus moins de 10 pour cent de la population, mais 30 à 40 pour cent. Et à cause de leurs opinions, ces personnes ne respectent pas ceux qui sont moins instruits, qui sont généralement des travailleurs, des gens qui vivent de leur travail. Pour les élites, seules les valeurs des diplômés sont acceptables, elles seules sont légitimes. C’est sous cet angle qu’il faut comprendre les résultats des élections au Parlement européen. Le Parti populaire européen a recueilli les voix des « plébéiens » de droite qui voulaient le changement, puis a transféré ces voix à la gauche et a conclu un accord avec les élites de gauche qui ont intérêt au maintien du statu quo. Cela a des conséquences pour l’Union européenne. La conséquence est que Bruxelles reste sous l’occupation d’une oligarchie libérale. Cette oligarchie a la mainmise sur elle. Cette élite libérale de gauche organise en fait une élite transatlantique : non pas européenne, mais mondiale ; non pas fondée sur l’État-nation, mais fédérale ; et non pas démocratique, mais oligarchique. Cela a également des conséquences pour nous, car à Bruxelles, les « 3 P » sont de retour : « interdit, permis et promu ». Nous appartenons à la catégorie des interdits. Les Patriotes pour l’Europe sont donc interdits d’occuper des postes. Nous vivons dans le monde de la communauté politique autorisée. Pendant ce temps, nos adversaires nationaux – en particulier les nouveaux venus au Parti populaire européen – appartiennent à la catégorie fortement promue. Les valeurs occidentales, qui étaient l’essence même de ce qu’on appelle le « soft power », sont devenues un boomerang. Il s’est avéré que ces valeurs occidentales, que l’on pensait universelles, sont manifestement inacceptables et rejetées dans un nombre croissant de pays à travers le monde. Il s’est avéré que la modernité, le développement moderne, n’est pas occidental, ou du moins pas exclusivement occidental – parce que la Chine est moderne, l’Inde devient de plus en plus moderne, et les Arabes et les Turcs se modernisent ; et ils ne deviennent pas du tout un monde moderne sur la base des valeurs occidentales. Entre-temps, le soft power occidental a été remplacé par le soft power russe , car maintenant la clé de la propagation des valeurs occidentales est la communauté LGBTQ. Quiconque n’accepte pas cela est désormais classé dans la catégorie des « arriérés » par rapport au monde occidental. Je ne sais pas si vous avez suivi, mais je trouve remarquable qu’au cours des six derniers mois, des lois pro-LGBTQ aient été adoptées par des pays comme l’Ukraine, Taiwan et le Japon. Mais le monde n’est pas d’accord. Aujourd’hui, l’arme tactique la plus puissante de Poutine est l’exposition occidentale de la communauté LGBTQ et la résistance à celle-ci, l’opposition à celle-ci. C’est devenu l’attraction internationale la plus forte de la Russie ; ainsi, ce qui était autrefois le soft power occidental s’est transformé en soft power russe – comme un boomerang. En définitive, Mesdames et Messieurs, je peux dire que la guerre nous a aidés à comprendre l’état réel du pouvoir dans le monde. C’est un signe que dans sa mission, l’Occident s’est tiré une balle dans le pied et accélère ainsi les changements qui transforment le monde. Nous vivons un changement, un changement qui s’annonce, qui n’avait pas eu lieu depuis cinq cents ans. Nous ne l’avons pas remarqué, car au cours des 150 dernières années, de grands changements se sont produits en nous et autour de nous, mais dans ces changements, la puissance mondiale dominante a toujours été l’Occident. Et nous partions du principe que les changements que nous observons aujourd’hui vont probablement suivre cette logique occidentale. En revanche, il s’agit aujourd’hui d’une situation nouvelle. Dans le passé, le changement était occidental : les Habsbourg se sont élevés puis sont tombés ; l’Espagne s’est élevée et est devenue le centre du pouvoir ; elle est tombée et les Anglais se sont élevés ; la Première Guerre mondiale a mis fin aux monarchies ; les Britanniques ont été remplacés par les Américains comme leaders mondiaux ; puis la guerre froide russo-américaine a été remportée par les Américains. Mais tous ces développements d’alors sont restés dans le cadre de notre logique occidentale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et c’est à cela que nous devons faire face ; car le monde occidental n’est pas remis en cause de l’intérieur du monde occidental, et la logique du changement a donc été perturbée. Ce dont je parle, et ce à quoi nous sommes confrontés, c’est en réalité un changement de système mondial. Et c’est un processus qui vient d’Asie . Pour le dire succinctement et de manière primitive, pendant les prochaines décennies – ou peut-être les siècles, car le système mondial précédent a été en place pendant cinq cents ans – le centre dominant du monde sera en Asie : la Chine, l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie, et je pourrais continuer ainsi. Ils ont déjà créé leurs formes, leurs plateformes, il y a cette formation des BRICS dans laquelle ils sont déjà présents. Et il y a l’Organisation de coopération de Shanghai, au sein de laquelle ces pays construisent la nouvelle économie mondiale. Je pense que c’est un processus inévitable , car l’Asie a l’avantage démographique, elle a l’avantage technologique dans de plus en plus de domaines, elle a l’avantage du capital, et elle met sa puissance militaire en équilibre avec celle de l’Occident. L’Asie aura – ou a peut-être déjà – le plus d’argent, les plus gros fonds financiers, les plus grandes entreprises du monde, les meilleures universités, les meilleurs instituts de recherche et les plus grandes bourses. Elle disposera – ou dispose déjà – des recherches spatiales les plus avancées et des sciences médicales les plus avancées. De plus, nous, les Occidentaux – et même les Russes – avons été bien encadrés dans cette nouvelle entité qui prend forme. [Ce processus est] presque imparable et irréversible. Le président Trump s’efforce de trouver une réponse américaine à cette situation. En fait, la tentative de Donald Trump est probablement la dernière chance pour les États-Unis de conserver leur suprématie mondiale. On pourrait dire que quatre ans ne suffisent pas, mais si vous regardez qui il a choisi comme vice-président, un homme jeune et très fort, si Donald Trump gagne maintenant, dans quatre ans son vice-président sera candidat. Il peut faire deux mandats, ce qui fera un total de douze ans. Et dans douze ans, une stratégie nationale pourra être mise en œuvre. Je suis convaincu que beaucoup de gens pensent que si Donald Trump revient à la Maison Blanche, les Américains voudront conserver leur suprématie mondiale en maintenant leur position dans le monde. Je pense que c’est faux . Bien sûr, personne ne renonce à son rang de son propre chef, mais ce ne sera pas l’objectif le plus important. Au contraire, la priorité sera de reconstruire et de renforcer l’Amérique du Nord . Cela ne concerne pas seulement les États-Unis, mais aussi le Canada et le Mexique, car ils forment ensemble un espace économique. Et la place de l’Amérique dans le monde sera moins importante . Il faut prendre au sérieux ce que dit le président : « L’Amérique d’abord, tout ici, tout reviendra à la maison ! » C’est pourquoi on développe la capacité à lever des capitaux de partout. Nous en souffrons déjà : les grandes entreprises européennes n’investissent pas en Europe, mais en Amérique, car la capacité d’attirer des capitaux semble se profiler à l’horizon. Elles vont tout faire payer à tout le monde. Je ne sais pas si vous avez lu ce que le président a dit. Par exemple, que les Etats Unis ne sont pas une compagnie d’assurances, et si Taïwan veut la sécurité, elle doit payer. Ils nous feront payer le prix de la sécurité, à nous les Européens, à l’OTAN et à la Chine ; et elles parviendront également à un équilibre commercial avec la Chine par le biais de négociations, et le feront évoluer en faveur des États-Unis. Elles déclencheront un développement massif des infrastructures américaines, de la recherche militaire et de l’innovation . Ils parviendront – ou ont peut-être déjà atteint – l’autosuffisance énergétique et l’autosuffisance en matières premières ; et enfin, ils s’amélioreront idéologiquement, renonçant à l’exportation de la démocratie. L’Amérique d’abord. L’exportation de la démocratie est terminée. C’est l’essence de l’expérience que l’Amérique mène en réponse à la situation décrite ici. Quelle est la réponse européenne au changement du système mondial ? Nous avons deux options. La première est ce que nous appelons le « musée à ciel ouvert ». C’est ce que nous avons aujourd’hui. Nous nous dirigeons vers cela. L’Europe, absorbée par les États-Unis, restera dans un rôle de sous-développement. Ce sera un continent qui émerveillera le monde, mais qui n’aura plus en lui la dynamique de développement. La deuxième option, annoncée par le président Macron, est l’autonomie stratégique. En d’autres termes, nous devons entrer dans la compétition du changement du système mondial. Après tout, c’est ce que font les États-Unis, selon leur propre logique. Et nous parlons bien de 400 millions de personnes. Il est possible de recréer la capacité de l’Europe à attirer des capitaux, et il est possible de faire revenir des capitaux d’Amérique. Il est possible de réaliser de grands développements d’infrastructures, notamment en Europe centrale – le TGV Budapest-Bucarest et le TGV Varsovie-Budapest, pour ne citer que ceux dans lesquels nous sommes impliqués. Nous avons besoin d’une alliance militaire européenne avec une industrie de défense européenne forte, de la recherche et de l’innovation. L’Europe a besoin d’une autosuffisance énergétique, ce qui ne sera pas possible sans l’énergie nucléaire. Et après la guerre, nous avons besoin d’une nouvelle réconciliation avec la Russie. Cela signifie que l’Union européenne doit renoncer à ses ambitions en tant que projet politique, se renforcer en tant que projet économique et se construire en tant que projet de défense. Dans les deux cas – musée à ciel ouvert ou compétition – il faudra se préparer à ce que l’Ukraine ne soit pas membre de l’OTAN ou de l’Union européenne , car nous, Européens, n’avons pas assez d’argent pour cela. L’Ukraine redeviendra un État tampon. Si elle a de la chance, cela s’accompagnera de garanties de sécurité internationale, qui seront inscrites dans un accord entre les États-Unis et la Russie, auquel nous, Européens, pourrons peut-être participer. L’expérience polonaise échouera, car ils n’ont pas les ressources nécessaires : ils devront retourner en Europe centrale et dans le V4. Attendons donc le retour des frères et sœurs polonais. En résumé, je peux donc dire que les conditions sont réunies pour une politique nationale indépendante à l’égard de l’Amérique, de l’Asie et de l’Europe. Elles définiront les limites de notre marge de manœuvre. Cette marge de manœuvre est vaste – plus vaste qu’elle ne l’a jamais été au cours des cinq derniers siècles. La question suivante est de savoir comment nous devons utiliser cette marge de manœuvre à notre avantage. Si un changement de système mondial doit se produire, nous devons alors adopter une stratégie qui en soit digne. L’essence de la grande stratégie de la Hongrie est donc la connectivité. Cela signifie que nous ne nous laisserons pas enfermer dans l’un des deux hémisphères émergents de l’économie mondiale. L’économie mondiale ne sera pas exclusivement occidentale ou orientale. Nous devons être présents dans les deux, à l’Ouest et à l’Est. Cela aura des conséquences. La première. Nous ne nous impliquerons pas dans la guerre contre l’Est. Nous ne participerons pas à la formation d’un bloc technologique opposé à l’Est, et nous ne participerons pas à la formation d’un bloc commercial opposé à l’Est. Nous rassemblons des amis et des partenaires, pas des ennemis économiques ou idéologiques. Nous ne suivons pas la voie intellectuellement plus facile qui consiste à nous accrocher à quelqu’un, mais nous suivons notre propre chemin. C’est difficile – mais il y a une raison pour laquelle la politique est décrite comme un art. Le deuxième chapitre de la grande stratégie concerne les fondements spirituels. Au cœur de cette stratégie se trouve la défense de la souveraineté. J’ai déjà suffisamment parlé de politique étrangère, mais cette stratégie décrit également les fondements économiques de la souveraineté nationale. Ces dernières années, nous avons construit une pyramide. Au sommet se trouvent les « champions nationaux ». Au-dessous d’eux se trouvent les entreprises de taille moyenne compétitives au niveau international, puis les entreprises qui produisent pour le marché intérieur. Au bas de la pyramide se trouvent les petites entreprises et les entrepreneurs individuels. C’est l’économie hongroise qui peut servir de base à la souveraineté. Nous avons des champions nationaux dans les domaines suivants : banque, énergie, alimentation, production de produits agricoles de base, informatique, télécommunications, médias, génie civil, construction de bâtiments, promotion immobilière, produits pharmaceutiques, défense, logistique et, dans une certaine mesure, par le biais des universités , industries du savoir. Et ce sont nos champions nationaux. Ils ne sont pas seulement des champions nationaux, ils sont tous présents sur la scène internationale et ils ont prouvé qu’ils étaient compétitifs. En dessous de ces chiffres, il y a les PME. Je tiens à vous informer qu’aujourd’hui, la Hongrie compte quinze mille PME actives et compétitives à l’échelle internationale. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir en 2010, elles étaient trois mille. Aujourd’hui, nous en avons quinze mille. Et il va de soi que nous devons élargir la base des petites entreprises et des entrepreneurs individuels. Si, d’ici 2025, nous pouvons établir un budget de paix et non un budget de guerre, nous lancerons un vaste programme en faveur des PME. La base économique de la souveraineté signifie également que nous devons renforcer notre indépendance financière. Nous devons réduire notre dette non pas à 50 ou 60 %, mais à près de 30 % et nous devons nous positionner comme un créancier régional. Nous faisons déjà des efforts dans ce sens et la Hongrie accorde des prêts d’État à des pays amis de notre région qui sont importants pour elle. Il est important que, conformément à la stratégie, nous restions un centre de production : nous ne devons pas basculer vers une économie de services. Le secteur des services est important, mais nous devons conserver le caractère de la Hongrie en tant que centre de production, car c’est la seule façon de garantir le plein emploi sur le marché du travail national. Nous ne devons pas répéter l’erreur de l’Occident consistant à utiliser des travailleurs immigrés pour effectuer certains travaux de production, car les populations d’accueil considèrent déjà que certains types de travail sont indignes d’elles. Si cela devait se produire en Hongrie, cela provoquerait un processus de dissolution sociale difficile à enrayer. Et, pour la défense de la souveraineté, ce chapitre comprend également la construction d’universités et de centres d’innovation. Le troisième chapitre identifie le corps de la grande stratégie : la société hongroise dont nous parlons. Si nous voulons être vainqueurs, cette société hongroise doit être solide et résiliente. Elle doit avoir une structure sociale solide et résiliente. La première condition pour cela est de stopper le déclin démographique . Nous avions bien commencé, mais maintenant nous avons stagné. Il faut un nouvel élan. D’ici 2035, la Hongrie doit être autosuffisante sur le plan démographique. Il ne peut être question de compenser le déclin démographique par des migrations. L’expérience occidentale montre que s’il y a plus d’invités que d’hôtes, alors la maison n’est plus la maison. C’est un risque qu’il ne faut pas prendre. Par conséquent, si après la fin de la guerre nous pouvons établir un budget de paix, alors pour retrouver la dynamique de l’amélioration démographique, il faudra probablement doubler le crédit d’impôt pour les familles avec enfants en 2025 – en deux étapes, pas en une, mais en un an. Il faut contrôler l’afflux de ceux qui viennent d’Europe occidentale et qui veulent vivre dans un pays national chrétien. Le nombre de ces personnes va continuer à augmenter. Rien ne sera automatique et nous serons sélectifs. Jusqu’à présent, ils l’ont été, mais maintenant, c’est nous qui le serons. Pour que la société soit stable et résiliente, elle doit être fondée sur une classe moyenne : les familles doivent avoir leur propre richesse et leur indépendance financière. Le plein emploi doit être préservé et la clé pour cela sera de maintenir la relation actuelle entre le travail et la population rom. Il y aura du travail et on ne peut pas vivre sans travail. C’est le marché et c’est l’essence de ce qui est proposé. Enfin, il y a l’élément crucial de la souveraineté . C’est l’essence même de la protection de la souveraineté, qui est la protection de la spécificité nationale. Il ne s’agit pas d’assimilation, ni d’intégration, ni de mélange, mais de maintien de notre propre caractère national. C’est la base culturelle de la défense de la souveraineté : la préservation de la langue et le fait d’éviter un état de « religion zéro ». L’état de « religion zéro » est un état dans lequel la foi a disparu depuis longtemps, mais où la tradition chrétienne a également perdu sa capacité à nous fournir des règles culturelles et morales de comportement qui régissent notre relation au travail, à l’argent, à la famille, aux relations sexuelles et à l’ordre de priorité dans nos relations les uns avec les autres. C’est ce que les Occidentaux ont perdu. » (Extraits de la conférence du Premier ministre hongrois Viktor Orbán à la 33e université d’été libre et camp d’étudiants de Bálványos) « La Russie, est en guerre, et donc utilise tous les moyens pour affaiblir l’occident : En étant le fer de lance de la dédollarisation. En jouant sur les liens tissés lors de la décolonisation pour s’allier l’Afrique. En dressant contre l’occident «décadent» une communication forte axée sur le respect des valeurs de la famille, des cultures, religions, et des peuples. Et en occupant les terrains : Diplomatiques (ouvertures d’ambassades, respect du protocole pointilleux), Médiatiques, (essaimage de TASS et partenariat, RT, Sputnik), Militaires (Nombreux accords de coopération, de formation et d’armement, sans parler de l’influence de Wagner), Culturels (augmentation du nombre d’étudiants en Russie, ouverture de centre culturels, l’industrie du cinéma reste cependant à mettre à la hauteur des autres arts où la Russie a déjà ses lettres de noblesse), Sportifs (invitations aux Jeux Mondiaux de l’Amitié), Économique (accords céréaliers, investissements dans les réseaux énergétiques, miniers, abandon de créances sur les pays les plus faibles), Moral (fin du Lgbtisme). En termes d’échanges, que peut fournir l’Afrique à la Russie qu’elle n’aurait pas ? La Russie pratique donc ici une guerre d’influence qui parachève le caractère global du conflit en dérobant des pays, des populations entières à l’hégémonie chancelante américaine : il s’agit bien d’un conflit mondial civilisationnel. Quant à la Chine, elle continue son expansion commerciale. L’Afrique peut donc échanger valablement matières premières contre biens de consommation, infrastructures et investissements. La dynamique de la Chine est donc très différente de celle de la Russie. Il semble que la Chine et la Russie se soient réparties en ce moment les zones d’influences : à la Chine, l’Amérique centrale et du Sud, à la Russie, l’Afrique et ensemble à l’OCS, l’Asie centrale. Reconnaissons que la Chine et la Russie, à elles seules, pourraient vivre et se développer en autarcie complète. La Russie et la Chine pensent que les Nations unies sont indispensables à un monde apaisé mais il faudra passer par une régénération de son personnel trop atlantiste, et une révision du Conseil de Sécurité. Les BRICS proposent un cadre juridique simple et rassurant. Cet outil pourra rapidement être mis en place pour peu de frais. Ce que cherchent les candidats BRICS, et cette quête est commune, c’est la mise en place de lois internationalement reconnues et appliquées. Les Nations unies ont été discréditées par son inféodation à la superpuissance du monde d’avant. » (Extraits de l'article « De BRICS et de Broques » à l'adresse https://strategika.fr/category/actualite/) « La chute de puissance continentale qui fait suite à la réforme protestante qui a affaibli à la fois l’Église romaine et le Saint-Empire romain germanique, a permis sur le longue durée l’expansion hégémonique des thalassocraties anglo-américaines, et la vassalisation de l’Europe continentale. La sortie de la scène de l’Histoire de l’Europe, comme la naissance du monde multipolaire, était perceptible par certains esprits visionnaires dès les années 1930/40. La guerre actuelle opposant Russie et OTAN en Ukraine est le résultat de cette tension entre puissances terrestre et maritime. La guerre que mène aujourd’hui la Russie est classique, au sens où elle combat là où se trouve des populations russophones dans les territoires dans l’ancien empire russe. Elle combat dans sa zone d’influence naturelle, et non pas à l’autre bout du monde. C’est une guerre du XIXe siècle, typique des puissances terrestres, comparable à celle de la Prusse qui s’est battue pour réunir (partiellement) les populations germaniques disséminées dans une partie de l’Europe. La Russie mène également une guerre de sanctuarisation de sa zone d’influence géopolitique sur laquelle empiète l’Amérique, via l’OTAN. On peut remonter à l’Antiquité pour y trouver ce type de guerre limitée pour préserver ou agrandir sa zone d’influence. Une zone d’influence qui coïncide avec la zone de sécurité, pour tracer une limite géographique au-delà de laquelle la vie de l’État lui-même est menacée. La guerre était inéluctable. Car, de deux choses l’une, soit la puissance terrestre demeure dans ses frontières et laisse venir la puissance maritime l’attaquer sur son territoire, au risque d’être acculée voire de disparaître, soit elle se projette militairement pour sanctuariser une zone d’influence plus large qui constituera une protection durable. Les États-Unis menacent la Russie près de sa frontière en utilisant les proxys ukrainiens et européens. Les Américains mènent une guerre internationale contre la Russie sans avoir à s’impliquer officiellement. L’asymétrie militaire au désavantage de la Russie est extraordinairement important. Mais l’asymétrie dans ce conflit n’est pas exclusivement militaire. La Russie mène une guerre traditionnelle, conventionnelle, limitée par nature. Nous dirons même que l’offensive russe est limitée par la nature même de la Russie. Les États-Unis mènent une guerre hors limite, c’est-à-dire une guerre dont l’espace d’action n’est plus seulement militaire, mais également civil, économique, juridique, sociétale. La guerre hors limite est une guerre totale. Et c’est bien à cette attaque totale à laquelle fait face la Russie depuis de nombreuses années. Ce qui est donc une dépense beaucoup plus grande que la Russie et donc un risque plus grand de faillite. Il est apparu le constitution de blocs géopolitiques en réaction à l’hégémonisme de la thalassocratie : Chine/Russie versus hégémon anglo-américain. L’ordre des grands espaces est advenu, c’est ce que l’on appelle le monde multipolaire constitué de grandes puissances agrégeant autour d’elles des nations qui forment des blocs géopolitiques. La séquence unipolaire ne fut qu’un bref moment durant lequel devait se reconstituer les puissances russe et chinoise. Un malentendu historique en somme. Cette courte période, d’une vingtaine années, a été interprétée par certains Américains comme la fin de l’Histoire signifiant leur hégémonie sur la planète. Ce début de XXIe siècle est non seulement celui de la multipolarité, mais aussi celui du déplacement du centre de gravité vers l’Est, vers le coeur continental du monde, au détriment des thalassocraties périphériques. Il s’agit d’un phénoménal renversement du rapport de force à l’échelle de l’Histoire et de la planète. Les plus grandes ressources énergétiques (pétrole, gaz, sans oublier les matières premières), et les plus grandes puissances économiques et militaires sont des États continentaux contrôlant de grands espaces et s’alliant à de nombreux États de l’immensité continentale africaine. Les États-Unis et le reste du monde occidental représentent 25% de la population mondiale, et ils font face au 75% restant qui sont agrégés autour des deux puissances continentales que sont la Russie et la Chine. C’est la fin de l’ère thalassocratique. Halford John Mackinder (1861-1947) mettait d’ailleurs en garde l’Empire britannique il y a plus d’un siècle face au danger que présentait la puissance terrestre russe, en ce que la puissance continentale a des chances supérieures de triompher contre la puissance maritime face à la diplomatie, même ingénieuse, de cette dernière. Les dirigeants chinois et russes, qui ont une forte conscience historique, ne commettront pas l’erreur de se séparer. D’autant plus que la double politique de contention américaine visant la Russie et la Chine, contraint ces deux pays à se souder. Le globe étant un champ de bataille où « les États se disputent la domination du monde », la guerre en Ukraine peut être interprétée comme la continuation de la politique eurasiatique de la Russie pour sécuriser le continent. C’est ce que l’on appelle traditionnellement une « pacification », à la romaine. L’on comprend donc naturellement le soutien apporté par Pékin à Moscou ; l’Empire du milieu ayant besoin, pour pérenniser ses nouvelles routes de la soie, que l’Europe et l’Asie soient pacifiées. La Russie fait donc une besogne nécessaire aux yeux de la Chine. Ce qui est frappant aujourd’hui, c’est que le réalisme géopolitique allemand a été adopté par les Russes et les Chinois. La politique euro-asiatique n’est effectivement pas un projet élaboré originellement et ponctuellement par quelques dirigeants, mais le fruit de la nécessité, de la force des choses historiques. L’alliance euro-asiatique suit un principe qui nous vient de l’Antiquité, à l’époque de la naissance de l’État romain. Lord Palmerston (1784-1865), homme politique britannique, deux fois premier ministre, avait lancé, lors d’une crise ministérielle en 1851 : quelque désagréable que puissent être maintenant nos relations avec la France, nous devons les maintenir car à l’arrière plan menace une Russie qui peut relier l’Europe et l’Asie orientale, et, seuls, nous ne pouvons pas faire face à une telle situation. Homer Lea (1876-1912), aventurier et écrivain américain, écrit un livre sur le crépuscule des Anglo-Saxons à l’époque de l’apogée de l’Empire mondial britannique. Il y dit que la fin de la domination anglaise pourrait survenir le jour où l’Allemagne, la Russie et le Japon s’allieraient. On comprend dès lors que ce ne sont pas les cerveaux de Vladimir Poutine et de Xi Jinping qui ont élaboré la politique de rapprochement sino-russe. Il s’agit d’une réaction à la géopolitique des anglo-américains qu’ils ont baptisé la « politique de l’anaconda ». Enserrement, étouffement et broyage des nations. Il s’agit d’un rapport dialectique, d’une menace qui contraint les États continentaux à former de puissants et grands espaces pour entraver la politique de l’anaconda. Aussi, l’objectif stratégique anglo-américain de séparation de l’Allemagne et de la Russie, n’est pas une nouveauté. La nouvelle route de la soie chinoise qui relie l’Est de la Chine à l’Ouest de l’Europe par voie essentiellement continentale, a ravivé une vieille peur anglo-américaine. Récemment, la domestique italienne de Washington, Giorgia Meloni, a fait sortir l’Italie de la nouvelle route de la soie chinoise. L’historien et géopolitologue étasunien Brook Adams (1848-1927) voyait dans l’éventualité d’une vaste politique ferroviaire transcontinentale avec les terminus de Port-Arthur et de Tsing-tao (deux ports dans l’Est chinois), une unité germano-russe asiatique orientale que toute tentative de blocus anglais ou de blocus américain, même conjugués, ne pourrait briser. Et nous le constatons aujourd’hui. La politique de sanctions américaines contre une Russie adossée à la Chine et aux autres grands espaces du monde multipolaire (BRICS) est vaine. Même sans l’Europe, que Washington a réussi à séparer de la Russie, l’alliance continentale eurasiatique met d’ores et déjà en échec les anglo-américains sur le plan politique, militaire et économique. La rupture russo-européenne causée par les Américains, pousse plus encore la Russie vers un autre contient, l’Afrique où les Chinois sont déjà bien implantés. Appelons cela les vases communicants de la géopolitique. Les États-Unis vivent sur les acquis géopolitiques de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Notamment le contrôle de l’Europe et du Japon. La politique continentale pour contrer l’endiguement anglo-américain doit se faire sans ces deux régions du monde, mais avec un nombre importants de grandes et moyennes puissances, dont l’Inde, l’Iran (et probablement bientôt tout le Moyen-Orient musulman), l’Indonésie, l’Afrique du Sud et le Brésil, (et possiblement des nations européennes dont si l'UE se réforme en Europe des nations, voire l'Australie liée commercialement avec la Chine). Auxquelles s’ajoute une Afrique qui bascule vers l’Est au détriment de l’Ouest. Vers quel épilogue ? Mais la force d’attraction de la masse économique continentale pourrait arracher du giron anglo-américain judéo-protestant le Japon et l’Europe, si une guerre mondiale (c’est-à-dire une confrontation directe des grandes puissances) n’advient pas avant. Car, si hier l’Amérique était une puissance économique attractive, aujourd’hui, ce qu’elle propose à ses vassaux c’est la récession, la pauvreté, le pillage de leurs industries, la guerre, l’humiliation continuelle. Les dirigeants européens sont ainsi pris en étau entre leurs maîtres de l’oligarchie occidentale qui entrainent leurs pays dans l’abîme, et leurs peuples en révolte qui s’opposent à cette politique mortifère. De son côté, la Russie attend de tirer des bénéfices de la guerre d’attrition contre l’Occident jusqu’à ce que la patience des peuples d’Europe atteigne ses limites. La pression russe exercée sur les gouvernements européens n’est pas visible mais réelle. La capacité de résistance et les ressources des Russes étant largement supérieures à celle des Occidentaux. Moscou n’a donc qu’à faire durer les hostilités et l’épuisement industriel européen jusqu’au moment où les peuples ne supporteront plus les effets économiques. Quant au Japon, il a fait montre d’un pragmatisme propre à sa culture. Tokyo a refusé de sacrifier son économie pour les besoins stratégiques étasuniens. « Les États-Unis ont rallié leurs alliés européens à l’idée de plafonner à 60 dollars le baril les achats de pétrole brut russe, mais l’un des plus proches alliés de Washington en Asie achète désormais du pétrole à des prix supérieurs à ce plafond. Le Japon a obtenu des États-Unis qu’ils acceptent cette exception, en affirmant qu’il en avait besoin pour garantir l’accès à l’énergie russe. Cette concession montre la dépendance du Japon à l’égard de la Russie pour les combustibles fossiles, ce qui, selon les analystes, a contribué à l’hésitation de Tokyo à soutenir davantage l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie. » Les Américains sont face à une situation difficile. Ils exigent une obéissance aveugle de leurs vassaux contre leurs intérêts vitaux. Trop tirer sur la corde de la soumission finirait par la casser. La situation géographique du Japon, qui est proche des deux mastodontes géopolitiques chinois et russe, peut le pousser à terme vers un rapprochement avec Pékin et Moscou pour trouver un modus vivendi. Le besoin d’hydrocarbure pour sa puissante industrie étant vitale pour le Japon, Tokyo ne peut pas se faire harakiri pour une guerre qui ne la concerne pas. La réalité des rapports de force est évidente entre une minorité démographique à l’échelle mondiale qui mène une politique économique et militaire mortifère, et des grandes puissances terrestres qui sont dans un essors économique et qui travaillent (grandement et donc avec grandeur) à la stabilisation du grand continent. » (Extraits de l'article « Blocs continentaux versus hégémonisme océanique – La dialectique géopolitique » de Youssef Hindi)
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